Témoignage de Denis Descombes, Président de TLF Pays de Savoie & Directeur Général des Transports Descombes

« Nos clients savent qu’on est important, le Gouvernement moins »
Rencontre cette semaine avec le Président de TLF Pays de Savoie Denis Descombes qui dirige avec son frère et sa sœur les Transports Descombes (27 salariés et une flotte de 24 véhicules), une entreprise familiale qui se transmet de génération en génération depuis 1904 ! Evolution du métier, crise Covid, taxes sur le gasoil … tour d’horizon sur sa vision des enjeux du secteur et ses priorités pour la profession en Savoie.
Parlez-nous de votre parcours. Qu’est-ce qui vous a poussé à reprendre l’entreprise familiale ?
« Je suis né au milieu des camions ! Ma personnalité et le métier ont bien matché. Cela a été assez naturel. Après 10 ans passés en logistique industrielle, je suis revenu dans le giron familial il y a 8 ans. Mon expérience personnelle vient compléter celle de l’entreprise familiale. Nous avons très peu de turn-over chez nous, nous avons fêté un départ à la retraite récemment d’un salarié entré en 1984 ! Notre actionnariat est 100% familial. »
Votre entreprise existe depuis 1904, une saga familiale ! Quelle vision portez-vous sur l’évolution de nos métiers ?
« Le métier de conducteur a beaucoup évolué en 40 ans ! Les conditions de travail se sont améliorées avec une dureté physique amoindrie (assistance à la conduite, boîtes automatiques …) moins d’amplitude horaire, un équilibre vie professionnelle/vie personnelle que nous avons à cœur de préserver. En termes d’attractivité des métiers, cela permet d’attirer de nouveaux profils. Nous avons embauché cette année notre première conductrice, notre première candidate depuis 10 ans !
Le côté humain de nos métiers est primordial. L’enjeu est d’arriver à faire le saut technologique et digital pour vivre dans un monde moins physique mais attention, nous aurons toujours besoin de mains et de têtes pour piloter. Il y aura toujours besoin d’hommes derrière les machines. Ne pas céder à la facilité de numériser à tout va. Ne pas transformer l’intelligence artificielle en bêtise artificielle !
Même si le métier de conducteur permet d’être indépendant et donne une grande part d’autonomie, les contraintes économiques et culturelles se font de plus en plus sentir dans l’esprit des clients sur les horaires de livraison. C’est un compte à rebours constant. »
Face à cette crise inédite, comment votre entreprise s’est-elle adaptée ?
« On s’est adapté en passant quelques salariés au chômage partiel et en stoppant tous les investissements.
Nous avons continué à travailler pour servir nos clients qui ont maintenu leur activité. Mais avec moins 30 ou moins 40% d’activité, nous avons travaillé à perte sans aucune aide de l’état.
Au niveau régional, nous avons été impactés par l’absence de touristes dans les stations de ski. La Haute-Savoie est aussi un des premiers fournisseurs de l’automobile et l’aéronautique. Le décolletage, qui est un des principaux moteurs de l’économie de la région, est en forte baisse.
Mais ça repartira, on a toujours su repartir.
Notre profession est le reflet de la situation économique ; s’il n’y a pas d’activité, il n’y a rien dans les camions. Nos clients savent qu’on est important, le Gouvernement moins.»
On a beaucoup parlé récemment du Projet de Loi Climat et Résilience et de l’impact de son volet fiscal pour la profession. (Suppression progressive du remboursement de la TICPE, éco taxe …) Quel regard portez-vous sur ces mesures ?
« D’un point de vue économique, ce sont des taxes en plus et les taxes pour investir sur l’avenir, cela ne marche pas.
Côté transition énergétique, on est tributaire de ce que les constructeurs nous proposent. Le prix du camion à énergie alternative risque de doubler.
Pour l’instant, les énergies alternatives ne sont pas encore mâtures. Et payer le gasoil le double ne permettra pas de polluer moins. Les gains en termes de réduction de CO2 pour la transition énergétique du transport ont été, à ce stade, uniquement payés par la profession.
Pendant le 1er confinement, nous avons dû continuer à garder un très haut niveau de services en assurant la livraison des hypermarchés, des hôpitaux, des masques pour les médecins … on a vu les remerciements.
Depuis, rien n’a été résolu, on nous taxe sans nous apporter de solutions. »
En tant que président de TLF Pays de Savoie, quelles sont vos priorités pour le secteur ?
« Première priorité, la transition énergétique et rendre nos camions moins polluants. Nous devrons la faire mais la difficulté va être le financement.
Si c’est un mix énergétique qui est privilégié, les prix vont s’envoler … (4 ou 5 types de motorisations différentes = prix astronomiques).
La solution unique a, pour elle, d’être plus avantageuse économiquement. Ce chantier doit engager l’ensemble des acteurs, c’est toute la chaîne transport et logistique qui doit être « propre » !
Deuxième priorité, la logistique urbaine.
C’est aux municipalités de prendre le sujet en main !
Actuellement, c’est la foire d’empoigne entre les vélos, scooters, piétons, voiturettes, camions, trottinettes …
Les conducteurs qui livrent en ville ont tout contre eux : horaires, absence de place pour stationner, des voies uniques pour plusieurs typologies de mobilité … Nous devons faciliter le travail de nos conducteurs et renforcer la sécurité.
On s’est battu pour qu’il y ait moins d’efforts physiques pour les salariés, aujourd’hui ils veulent livrer à vélo avec 300 kilos. Même avec une assistance électrique, le vélo ne peut pas être la solution miracle. Si on le fait en camions, c’est bien qu’on ne peut pas le faire en vélo !
Les centres villes sont conçus sans penser aux livraisons. Comment maintenir la présence des commerces dans les villes sans accès aux camions pour les livrer ? »
Quelles sont vos attentes envers le Gouvernement ?
« Pour la transition énergétique, l’énergie propre passera d’abord par des moteurs propres. Pour cela, encourageons massivement la recherche au lieu de taxer les transporteurs.
Notre activité étant étroitement liée à celle de nos clients, il faut avoir en tête que dès qu’une activité est arrêtée, en période Covid par exemple, cela impacte directement notre secteur en amont et en aval. Anticipons !
Nous avons un beau métier, un sentiment de liberté. Les conditions de travail se sont améliorées, la qualité de vie des conducteurs également. Mais économiquement parlant, les prix de vente du transport ont peu évolué en 20 ans. Les gains de productivité s’évaporent en taxes. Si chaque année, on nous rajoute des taxes, c’est de la hausse de salaire en moins.
J’invite le Gouvernement à venir visiter nos camions. C’est plus confortable de faire 500 km dans un camion que dans une voiture. »